Jusqu’en septembre 2025, nous recevons l’artiste plasticienne Anaïs Lelièvre en résidence d’accompagnement dans le cadre d’une première résidence orchestrée par le Musée National Adrien Dubouché en vue de la prochaine exposition Les énergies de la terre qui ouvrira à Limoges le 08 octobre 2025.
Pour en découvrir plus sur son travail:
« Anaïs Lelièvre s’est donnée pour principe de rechercher la contextualisation du travail, ce qui la conduisit à des résidences internationales et au nomadisme qui l’accompagne. En 2010, déjà, elle écrivait « L’art d’habiter en voyageur » visant à questionner la manière dont le paysage traversé peut être lieu d’accueil pour l’art contemporain et vecteur de création. Après treize années d’exercice et plus d’une quinzaine de résidences, Anaïs Lelièvre est passée d’une exploration graphique de la spatialité à caractère immersif, à un apprivoisement libre des matières et des règles céramiques, et à leur mise en espace. Deux résidences ont joué un rôle déterminant dans ce passage : Gardur, en Islande, en 2015 puis 2019, et la Fondation la Junqueira, au Portugal, en 2022. Deux lieux dont les paysages 3 qu9ils fussent naturels ou urbanisés 3 témoignent, dans leur chair d’argile et de pierre, d’un tumulte tellurique profond, volcanique pour le premier, sismique pour le second. Le détonateur de cette approche s’apparente au syndrome de Stendhal. Face au grandiose des paysages islandais, Anaïs Lelièvre s’est sentie vaciller. Troublée par cette nature fortement contrastée (eau/roche, pierre de lave et neige, noir/blanc), elle entreprit d’interroger le paradoxe existant entre la frénésie constructive de l’homme qui ne cesse d’édifier, d’ériger, de faire acte de civilisation (par l’écriture notamment) et l’imprévisibilité de ces grands mouvements géologiques où tout n’est qu’effondrements, délitements et transmutations. Ce qui est catastrophe humaine pour certains est régénérescence salutaire pour d’autres. Anaïs Lelièvre ne prend pas parti. Au coeur de cette dichotomie, l’artiste rejoue les processus géologiques dans l’atelier en employant de l’argile, des émaux, de l’eau, de l’encre et le feu. À la façon des démiurges que sont un peu les céramistes, elle réintroduit la main dans la genèse des états et des formes. La céramique reste une discipline nouvelle pour elle. Elle l’aborde sans préambule éducatif, sans une once d9académisme, simplement portée par l’idée, l’objectif, la nécessité et le plaisir du voir et du toucher. Elle l’amène sur des chemins nouveaux et éminemment expérimentaux, à rebours des usages et comparables aux audaces transatlantiques qui ont porté le renouveau de la céramique dans les années 60. À titre d’exemple, la porcelaine utilisée pour les quelque 250 Fondements exposés s’avère roulée dans un carcan de plaques métalliques et non coulée comme on aurait pu s’y attendre. Au détour d9un problème de four qui se refuse obstinément à cuire à haute température en stagnant à 1100°, elle obtient une porcelaine idéalement sous-cuite, étonnamment hydrophile, qui accepte de se laisser pénétrer en profondeur par d’abondants bains d’encre de Chine, dont elle ne conserve après égouttage et séchage, que les traces. Ailleurs, pour les Gloc, Oikos-Poros, comme pour les pièces murales intitulées Terramoto (tremblement de terre), le geste, répété, libéré, violent du stylet qui vient percuter l9argile en profondeur, là où le papier ne le permet pas, dénote une aptitude saisissante à comprendre les ressources et les réactions de la matière et à s’en saisir pour l’amener plus loin. Les séries Caryopse 3 (2021) et Oikos-Poros (2020) s’approprient la technique bien connue du transfert d’image, mais d’une façon très résolue qui en renouvèle le vocable. Résidence après résidence, le chemin arpenté par Anaïs Lelièvre semble être celui d’une solitude durablement éprouvée dans le temps (temps géologiques et temps de la naissance de l9écriture) et dans l’espace. Là, où il est habituellement convenu de saluer les vertus d’une argile qui relie les hommes et les cultures, c’est à sa capacité immémoriale et chaotique, aux forces sourdes du changement qu’il est ici rendu hommage. Anaïs Lelièvre arpente le monde en quête d’un territoire à habiter. »
Stéphanie Le Follic-Hadida Docteur en Histoire de l’art, critique et commissaire d’exposition Représentante de l’Académie internationale de céramique Exposition monographique Littera/Terra, Espace Jacques Villeglé, Saint-Gratien.